10.12.04

Voilée

Décembre 1942. Je marche boulevard Haussmann et je croise deux femmes qui arborent sur leur manteau une étoile jaune. Je leur adresse un regard que je veux plein de compassion et de solidarité. Je tremble d'indignation intérieure mais je ne fais rien, j'ai peur de la police, de la loi, de l'Etat qui a mis en place cette mesure.

Décembre 2004. Je monte dans le RER direction la Défense. Dans le wagon, je vois une jeune femme enveloppée de la tête aux pieds d'un hijab gris, avec un sac d'où dépassent des polys, qui va probablement à la fac de Nanterre. Je lui adresse un regard plein de haine et de colère. Je tremble d'indignation intérieure mais je ne fais rien, car c'est elle qui a choisi de s'humilier ainsi, de se désigner comme inférieure de moitié à un homme, de se soumettre à des prescriptions aussi archaïques que barbares.

Et je fais le reste du chemin, le long des couloirs et des escalators, un peu honteuse de mon regard de haine, et me demandant ce que j'aurais du faire:

-L'ignorer, en espérant que, bientôt et d'elle-même, elle comprendra qu'elle s'enferme dans une vie pire que ce qu'elle croit rejeter ?

-La plaindre ouvertement, en voyant quels moyens elle emprunte pour se forger une identité, trouver un sens à sa vie ?

-L'apostropher, en lui disant qu'en tant que femme, elle devrait avoir honte de rejeter l'égalité pour laquelle tant de femmes et d'hommes se sont battus et continuent à le faire ?

-Baisser les bras en sachant qu'elle et moi, nous ne parlons plus la même langue, nous ne sommes plus sur la même planète ?

-Lui signaler que le gris ne lui va pas au teint ?

Et vous, qu'auriez-vous fait ?

Contribution de Jessica

6.12.04

Rebellion sur le marché de l'emploi

Les statistiques n'aiment pas les femmes:
Avec un chômage de 9.9% sur l'ensemble de la population, après avoir quand même noté que ce sont les moins de trente ans qui souffrent le plus sur le marché de l'emploi, regardons quand même ce qui se passe du côté des femmes de plus de trente ans: 10.4% de chômeuses contre 7.1% de chômeurs.
Il nous manque cependant le détail sur les décennies qui nous révèlerait peut-être des inégalités supplémentaires entre les plus de 40 ans et les femmes plus jeunes.
Source: Insee enquête emploi 2003 sur
www.inegalites.org

Quand on regarde dans le détail des professions, force est de constater qu'on nous retrouve peu dans les mêmes secteurs ou aux postes de pouvoir des hommes:
(les pourcentages indiquent la part des femmes dans les métiers concernés)

Services aux particuliers 88%
Employées administratives en entreprise 81%
Service de la Fonction publique 77.6%
Intermédiaires de la santé et travail social 77.2%
Institutrices 64%
Chefs d'entreprise 14.5%

Et il n'y a toujours que 6% de femmes dans les conseils d'administration des entreprises françaises (dont 68% seulement une !) contre 8% en Europe, 13.6% aux Etats Unis (Fortune 500) et plus de 20% en Suède ou en Norvège
Rendez-vous compte de la difficulté supplémentaire de rechercher des emplois dans des secteurs structurellement sexistes!
Sources: Insee, enquête emploi sur www.inegalites.org; Euro-baromètre 2004 EPWN

Enfin, quand on regarde l'évolution des salaires sur les générations, on se rend compte (hommes et femmes confondus) que " chômage aidant, les fruits de la croissance économique (...) ont été réservés aux plus de 45 ans". Cette inégalité est probablement renforcée sur la gente féminine qui voit depuis 10 ans le niveau moyen des salaires des femmes à temps complet stagner à 81% du niveau de celui des hommes et ce malgré des niveaux de qualification équivalents.
Sources:
www.inegalites.org ; INSEE

Ces chiffres, normés dans un contexte différent du marché actuel, sont toujours froids à décortiquer et révèlent surtout un manque de données spécifiques sur le chômage féminin, comme si "la privation de l'emploi [ était] moins grave lorsqu'elle affecte le deuxième sexe" (voir Magaret Maruani - les mécomptes du chômage)

La claque du marché
Confronté à la réalité vécue, qu'en est-il vraiment?
Clairement les CV avec plus de 40 ans au compteur ne sont pas prisés par les recruteurs, entreprises ou chasseurs. Un certain nombre d'explications peuvent être suggérées, certaines avouables, d'autres moins.

  1. Trop chère - L'obtention de nos beaux diplômes n'aura servi qu'à bercer notre illusion que nous pouvions revendiquer une progression professionnelle semblable à nos collègues masculins. Sur le terrain, cette progression se heurte à deux phénomènes qui se cumulent: Le refus des décideurs masculins à partager les postes de pouvoir et leurs préjugés sur les capacités de femmes à gérer ces postes (forcément ça ne serait pas pareil qu'avec les copains de la bande!) et par notre propre censure qu'une de mes copines appelle le plafond de verre ( on ne se met pas en situation de prendre le poste supérieur à partir d'un certain niveau perçu par nous comme notre maximum). Ainsi, nous n'exploitons pas notre expérience pour rechercher des postes de niveau supérieur pour lesquels le salaire souhaité ne serait plus un problème, et ce pour autant que l'on y accède (cf préjugés des décideurs) et nous recherchons toujours une petite place sur des fonctions similaires à celles déjà exercées pour laquelle nos exigences deviennent forcément somptuaires, ou revues à la baisse de telle sorte que ça devient inacceptable.
  2. Trop compétente - on risque de mettre en danger le n+1 probablement. Mieux vaut préserver son "petit pouvoir" en s'entourant de gens plus jeunes, moins expérimentés, plus contrôlables que s'appuyer sur sur des compétences complémentaires qui s'affirment dans des discussions et des remises en cause, fussent-elles au bénéfice du développement de l'entreprise et de l'emploi.
  3. Trop vieille - Fatiguée d'avoir déjà eu nos enfants, sans doute incapable de partager notre savoir faire et développer le business avec compétence et énergie parce qu'usée par notre trop grande expérience, on est forcément décatie. Alors on s'intègre moins bien dans l'univers narcissique des entreprises françaises, ou la jeunesse est le miroir de l'élan et de la réussite.

Quelles conséquences à terme?

Tentons de synthétiser ce qu'on a pu entendre ces derniers mois, qui est d'ailleurs valable pour les hommes aussi, mais avec un sentiment de risque qui semble symptomatique chez les femmes.

Le cadre féminin vieillissant est inquiet: il est plus facile et moins cher (?) de changer de personnel que d'accompagner le changement avec le personnel existant. Ou en tout cas, pour ça, il faut une certaine vision de l'entreprise et de son avenir qui va au delà des rapports trimestriels aux actionnaires. La peur est mauvaise conseillère: on doute, on se renferme, on devient peut-être moins efficace dans sa mission. On se voit pousser dans l'impasse de la progression professionnelle voir vers le licenciement. Là dessus les DRH sont d'une créativité effrayante et nous probablement trop abasourdies pour lutter, pour se syndiquer ou pousser jusqu'aux prud'hommes. Et oui c'est vrai, les cabinets de recrutement confirment (off bien sûr) qu'ils recherchent plutôt des hommes 35 ans max, avec un peu d'expérience, moins d'exigences salariales et plus mobiles sur le marché.

La quadra au chômage est anxieuse. Les périodes recherches sont longues, les échecs dans les recherches des coups de boutoir portés à la confiance en soi. Le rapport au temps inversé par rapport à ceux et celles en activité: tout est attente. Le rapport à l'argent aussi. Parce que si à 20 ou 30 ans on se démerde, en général à 40 on a plus de personnes à charge, on se sent coupable de ne pas offrir ce qu'on a pu avant, on à peur pour le confort acquis et qu'on croyait perenne. Alors on peut élargir le spectre des recherches vers des postes moins qualifiés, on peut baisser ses prétentions au risque de faire pitié, mais aura-t-on plus de succès? Alors il reste le réseau des copines et des autres, avec au bout peut-être la rencontre qui peut changer ce cours malveillant des choses .

"C'est pas grave, ton mari travaille", comme si notre contribution n'était qu'accessoire, notre salaire un peu d'argent de poche. Au delà des éléments matériels probablement plus critiques souvent qu'un simple bonus pour le foyer, on nous demande de faire comme si toute nos expériences professionnelles passées n'avaient compté pour rien dans ce que nous sommes. Epouse et mère d'abord, salariée si le marché le veut! Et sur ce marché là, notre voix est à peine un murmure.

Si on rencontre de telles difficultés à 40 ans, qu'en sera-t-il à 50 et comment sera notre retraite alors que la société attends de nous que nous travaillions jusqu'à 65 ans ou plus mais que le marché ne nous trouve pas de place?

Chercher à tâton mais de préférence pas toutes seules

Alors qu'est ce qu'on peut faire?

Si on est au chômage, on peut commencer par en parler, ne pas faire semblant que c'est juste un moment difficile à passer, dans son entourage, dans sa zone d'influence. La difficulté est de dépasser la dimension personnelle et affective propre à la personne et l'inscrire dans une tendance lourde et profondément déstabilisante. Ecoutez autour de vous!

Pour cela il existe de plus en plus de groupes de femmes concernées par la nature de l'emploi de leurs consoeurs qui peuvent développer des reflexions par le contrôle et le pouvoir d'influence qu'ils exercent. (cf www.parispwn.net entre autres)

C'est peut-être le moment de se reposer la question de l'intérêt des syndicats et des organismes publics sinon dans la défense des intérêts des individus, du moins dans la mise en place et le respect des "meilleures pratiques" de représentation de la plus grande diversité sociologique, y compris les femmes là ou elles ne sont traditionnellement pas ou peu présentes. Là, il y a du boulot!

Le changement des mentalités reste une bataille de longue haleine. Mais sans doute chaque signe que nous pouvons donner de notre ambition au quotidien est le meilleur exemple, et la conscience des difficultés le meilleur moteur.

A suivre, forcément!


Les quadras font la gueule Posted by Hello