25.1.05

"Rankism" ou les petits pouvoirs

Les « quelqu’un »

La bande de potes : Tous des hommes. Ils ont leur langage codé (ou pseudo-hermétique), qui traite de filles, plus jeunes qu’eux, nombreuses, à l’opulente poitrine, aux fesses et aux lèvres de poupée barbie siliconées, plus petites (mais aux grands talons) et plus sottes qu’eux, interchangeables, de voitures, grosses cylindrées, européennes de préférence, le truchement abusif par lequel ils y ont accédé (mais après tout leur fonction ne leur confère-t-elle pas le pouvoir d’être au-dessus des règles), et du temps record mis d’un point à un autre, de préférence dans des endroits exotiques et exclusifs, des soirées extraordinaires, chez des gens avec un nom à notoriété, de préférence sous influence (dans des quantités pouvant justifier l’intervention des forces de l’ordre).
Ils sortent toujours entre eux, ne parle qu’entre eux et de préférence d’eux ou médisants sur les autres, mais c’est à peine si les autres valent la peine d’une discussion. Ils ne sont pas du même monde. Cette bande de pote est trop cooool !

Le Patron de l’International : Comme tout (très) petit Napoléon qui se respecte, il se considère comme un gourou dans son métier. Il exerce sont autorité frustrée avec une agressivité dictatoriale. Personne ne l’aime ou ne l’admire mais qu’importe. L’important c’est que lui vous trouve une utilité. Alors la flatterie et la veule obéissance (même en dépit du bon sens) vous font entrer dans sa cour. Formaliste à l’extrême, le respect du protocole et des avantages liés à son rang ainsi que la mise en place de procédures de contrôle à tous les niveaux, qui lui permettent d’imprimer son mode de pensée tout le long de ligne hiérarchique, sont la rassurance permanente qu’il est le chef. Sa mise en scène préférée : l’estrade, sur laquelle il guillotine les mécréants à la face du plus grand nombre. Patron de l’international, il l’est de sa tour d’ivoire avec ses pairs à l’autre bout du monde. De toute façon, les pays ne l’intéressent que pour le nombre de têtes qu’il a sous sa domination (et a fortiori les dollars qu’ils ramènent) et qui peuvent le faire grimper davantage dans la seule hiérarchie qui l’obsède, celle de son côté de l’Atlantique. La seule diversité culturelle qui s’applique à ses yeux c’est celle du village global. Et ce village là, il n’y a que lui qui le dirige. Je ne veux voir qu’une seule tête !

Le VP Europe : Archétype du flatteur veule, il reporte ses frustrations sur le niveau inférieur. Il est toujours d’accord avec le chef, essaie vainement d’appliquer les méthodes de non-management qu’il voit fonctionner au dessus. Il lui manque cependant l’autorité, même irrationnelle, pour se faire obéir. Chaque réussite de l’échelon inférieur lui revient, chaque échec celui des incapables locaux, de toute façon choisis par son prédécesseur. Bureaucrate par fonction et par nécessité (quelle est sa valeur ajoutée autrement ?) il veille à l’application rigoureuse des procédures de contrôle, comme le graal de la réussite. Navigant comme il peut dans les eaux troubles des strates intermédiaires, il courbe l’échine en attendant que les orages passent, et vit dans l’angoisse permanente que son incompétence et son inutilité soient exercées par un autre. Et la caravane passe.

Le DG local : Voilà un poste compliqué dans une structure multinationale. Trop autonome, il crée le soupçon sur sa loyauté et entre en conflit permanent avec sa hiérarchie. Trop obéissant, il perd la confiance de ses troupes. Dans ce paradoxe managérial, il est indécis. Entre des directives inadaptées pour des objectifs irréalistes et la montée au créneau sur des actions dans lesquelles il croit, il ne prend pas de risques. Il transmet. De toute façon, il n’a plus foi en rien, sinon dans la préservation de ses avantages acquis. Son objectif : contenir le mécontentement de sa hiérarchie sur des résultats médiocres jusqu’à faire sauter un échelon intermédiaire, sans doute responsable de tous les déboires, et ignorer la frustration des collaborateurs, qui ne sont que des pions qui doivent obéir ou partir. Comme lui, mais lui plus tard et avec plus d’argent. Le precium doloris des cadres dirigeants a son propre barème dans les multinationales. C’est le prix du silence surtout, car la douleur, on s’en fout dans les multinationales.

Les « personne »
Le directeur marketing : Voilà un bien beau titre pour une mission d’organisation et pour faire le tampon entre les différentes frustrations internes. A l’international, on lui fait croire qu’on attend de la réflexion et de la créativité. En local, on attend qu’il soit le faire valoir de la direction générale en mettant en œuvre sans heurts et avec succès en appliquant à la lettre les stratégies développées par le centre, ou qu’il prenne les coups en cas d’échec. Son petit pouvoir, c’est d’appliquer des sanctions quand la frustration est trop forte, de faire fluctuer ses préférences, privilège des petits chefs et faire son rapport en sautant une strate hiérarchique pour faire chier le n+1. On prend les plaisirs qu’on peut !

L’attachée de presse : Elle a tellement côtoyé les stars, les réalisateurs et les producteurs, qu’elle se sent du même monde. Et pour entretenir cette illusion, elle est prête à tous les sacrifices : celui de son corps (dont elle ment sur l’âge depuis des années), celui de sa dignité (en se prenant la mauvaise humeur de tous sans broncher), celui du travail bien fait (quand on s’occupe des talents, quelle importance peut donc avoir une stratégie de presse pour le produits que ces talents représentent ?). Ainsi, elle se considère hors hiérarchie, indispensable au plus haut niveau alors qu’elle n’est que l’esclave du système. Corvéable à merci, elle n’a ni le salaire, ni la liberté de son temps, ni la reconnaissance de la fonction, pour autant qu’il puisse y en avoir une. Alors elle minaude avec les directeurs, complote en croyant pouvoir prendre du galon et use de son petit pouvoir de planification des interviews pour flatter ou nuire aux journalistes en fonction de ses affections ou son humeur. Le top c’est se fait prendre en photo comme une vulgaire groupie avec les grands noms dont elle a la charge temporaire. Cheese !

La chef de pub : Enfermée dans le plus petit bureau de l’entreprise, qu’elle a fini par avoir pour elle toute seule à force de grognements et par son ancienneté, sa vie n’est qu’une longue suite de frustrations. Elle empile les dossiers dans son cagibi, parce que l’ordinateur c’est pour les secrétaires. Elle monopolise jalousement les rendez-vous avec les supports et l’agence de publicité. Si quelqu’un d’autre les rencontre sans elle, c’est forcément contre elle. En réunion, elle vitupère contre tous les choix qu’elle n’aura pas faits, les fournisseurs qu’on aura choisis sans la consulter, contre le management qui ne fait rien et elle qui fait tout. Sa valeur ajoutée est celle de la mauvaise humeur et des conflits permanents avec une entreprise qui ne reconnaît pas sa valeur, avec l’international qui n’y connaît rien, avec les jeunes qui veulent lui prendre son boulot, avec les femmes qui ont l’arrogance d’être plus jeunes. Pour elle, c’était tellement mieux avant. Il n’y a plus qu’à tous leur casser la gueule !

Dans ce système de la terreur répercutée des « quelqu’un » aux « personne » (et on est tous le « quelqu’un » et le « personne » d’un autre), il n’y a pas de solution autre que celle de quitter cette entreprise, en espérant qu’un jour on reviendra à un système ou l’humain sera de nouveau au centre du système, avec des compétences mise en action pour créer de la valeur, l’envie de faire mieux et la confiance les uns dans les autres et dans la structure qui les abrite. Il y a du boulot !

Le premier serait de trouver une traduction à « rankism ». Vos propositions sont les bienvenues.

Les anglophones qui s’intéressent à ce travers des entreprises modernes, ici humblement décrit au travers de mon expérience personnelle, vous pouvez en lire plus sur www.commondreams.org/views/100700.htm (article de R. Fuller) ou www.breakingranks.net.